Compétition entre Odin et Thor

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Irina-Maria Manea
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 02 mars 2021
Disponible dans ces autres langues: anglais
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Le poème intitulé le Lai de Barbe-Grise (vieux norrois: Hárbarðsljóð) est l'un des récits de la mythologie nordique qui relate une intrigante joute verbale entre deux de ses dieux essentiels, Thor et Odin. Le poème se compose de 60 strophes et se trouve au complet dans le Codex Regius, un manuscrit du XIIIe siècle qui contient l'Edda poétique, la source la plus importante du mythe viking. Il diffère des autres poèmes parce que les formes métriques ne sont pas aussi rigides et que certaines parties des discours sont même de la simple prose. Il raconte l'histoire de Thor qui, de retour d'une de ses aventures, veut traverser un fjord. Il aborde un passeur du nom de Harbard, qui est en fait Odin déguisé, et qui refuse de le faire traverser. Ils commencent alors à se poser des questions l'un sur l'autre et à échanger des informations sur leurs hauts faits, ajoutant l'insulte à l'injure. Le poème pourrait même avoir été monté en tant que pièce de théâtre puisque les noms des personnages sont écrits à côté des vers dans le manuscrit.

Odin & Thor
Odin et Thor
W.G. Collingwood (Public Domain)

Un jeu d'esprit

Ils s'affrontent verbalement dans ce que l'on appelle un mannjafnaðr, une comparaison d'hommes, chacun essayant d'affirmer sa supériorité. Le ton de ce poème diffère de celui des autres poèmes de l'Edda poétique; avec sa nature familière, il ressemble plus à une farce qu'à quelque chose à prendre au sérieux. Il n'est peut-être pas nécessaire de chercher des significations plus profondes dans ce poème, car sa vulgarité amusante et simple aurait certainement diverti le public de la littérature médiévale.

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Dans l'histoire, Thor revient d'un voyage qui aurait pu être important, probablement une rencontre avec un géant, et demande à être transporté en échange de nourriture, mais le passeur non seulement refuse mais lui dit que sa mère (Jorð, la terre) est morte et il le rabaisse en affirmant qu'il n'a même pas de greniers ni de vêtements convenables et qu'il n'est donc pas un paysan digne de ce nom - ce qui était un rôle essentiel au Moyen-Âge. Odin déclare qu'il a été chargé de ne transporter que des hommes dignes, ce qui n'est apparemment pas le cas de Thor. Thor, faisant preuve de courage puisqu'il est encore en terrain ennemi, révèle son identité de "fort parmi les dieux" (Hildebrand, 173), tandis qu'Odin ment et lui donne son autre nom, Harbard (Hárbarþr), en se vantant qu'il ne cache que rarement son nom. C'est en effet le plus grand des mensonges. Il poursuit avec l'insulte selon laquelle il se cacherait et se défendrait contre des gens comme Thor.

L'acte de jeter les yeux de Thjazi et l'orteil d'Aurvandil dans les cieux est peut-être la seule indication de la contribution de Thor à l'ordre cosmique.

Comme prévu, Thor se met en colère et le menace. Odin lui répond que ce sera difficile car il est son plus féroce ennemi depuis le géant Hrungnir. Thor a probablement trouvé cela amusant puisque c'est lui qui lui a brisé la tête et qui se demande à la strophe 15, "que faisais-tu pendant ce temps" (Hildebrand, 175), un vers récurrent dans le poème. Odin se vante d'avoir fait la guerre et d'avoir séduit des filles, ce qui intrigue Thor, et pas seulement dans cette histoire. Il semble qu'il ait été très charmant, couchant avec pas moins de sept sœurs.

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De quoi Thor peut-il se vanter ensuite? De nouveaux géants morts, cette fois-ci Thjazi. C'est lui qui avait enlevé la déesse Idun, gardienne des pommes d'or de la jeunesse. Il dit l'avoir tué et avoir fait de ses yeux des étoiles. Ce détail fait écho à une histoire racontée dans l'Edda en prose, la version de la mythologie nordique composée par Snorri Sturluson. Dans cette histoire, Thor, après avoir combattu le géant de pierre Hrungnir, a une pierre à aiguiser plantée dans la tête. Une sorcière nommée Groa chante quelques charmes pour la dégager, et Thor veut la récompenser. Il lui raconte qu'à son retour de Jotunheim, le pays des géants, alors qu'il transportait son mari dans un panier à travers les rivières, l'un de ses orteils a gelé. Il a alors jeté l'orteil dans le ciel, qui est devenu une étoile, signe qu'il allait bientôt rentrer chez lui. Cela devait faire partie d'une référence spécifique, aujourd'hui perdue. Quoi qu'il en soit, le nom du mari de la sorcière est Aurvandil, ce qui correspond à l'anglais earendel, l'aube. L'acte de jeter les yeux de Thjazi et l'orteil d'Aurvandil dans les cieux est peut-être la seule indication de la contribution de Thor à l'ordre cosmique. C'est plutôt lui qui le maintient, et non qui le met en place.

Thor Battling Giants
Thor combattant des géants
Mårten Eskil Winge (Public Domain)

Thor considère l'assassinat du kidnappeur d'Idun comme sa plus grande action, car tous les dieux peuvent en voir le résultat: ils ne vieillissent plus. Odin répond en parlant d'une mystérieuse aventure avec plusieurs sorcières. Il a reçu une baguette qu'il a ensuite utilisée pour voler l'esprit de son propriétaire, un acte que Thor condamne dans la strophe 21, en disant que "vous rendez les bons cadeaux avec un mauvais esprit" (Hildebrand, 178). Comme nous pouvons le constater, le stéréotype populaire d'Odin en tant que vieux sage est très éloigné de son image complexe d'origine. De plus, il déclare cyniquement dans la strophe suivante que "le chêne doit avoir l'espace qu'il prend à l'autre" (Hildebrand, 178). Il donne des conseils pragmatiques et égocentriques, comme partout ailleurs dans les poèmes.

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Une fois de plus, Thor mentionne qu'il a tué des géants, sans quoi Midgard serait vraiment en danger, voire détruite. Dans la réponse suivante d'Odin, une fois de plus, nous n'avons aucune trace du vieil homme sage: "J'ai suscité des guerres, j'ai irrité des princes, jamais je n'ai apporté la paix" (Hildebrand, 179). Il accuse ensuite irrévérencieusement son fils de lâcheté, nous rappelant un autre voyage de Thor, lorsqu'il s'est retrouvé dans le gant du géant Fjalar/Skrýmnir, qu'il a pris pour une maison.

Tout comme Odin, Útgarda-Loki parvient à déjouer Thor, qui semble plutôt lent d'esprit et incapable de saisir le sens profond de ce qui se passe autour de lui.

Dans l'Edda en prose, Thor, à un moment donné, voyage avec Loki et un esclave vers le royaume du géant Útgarda-Loki. Au cours de leur voyage, ils passent la nuit dans une salle qui s'avère être le gant de cet immense personnage qu'est Skrýmnir, qui se joint alors à eux pour un moment. Après leur séparation, le groupe atteint la salle d'Útgarda-Loki, où le géant les défie dans une série de concours. Thor ne peut pas boire une corne entière malgré trois énormes gorgées, car il s'agit de la mer; il ne peut pas soulever le chat du géant du sol, car il s'agit de Jörmungandr, le serpent qui entoure la terre; et il ne peut pas combattre une vieille femme qui est en fait une personnification de la vieillesse. Le lendemain matin, Útgarda-Loki admet qu'il est en fait Skrýmnir et qu'il a utilisé des sorts pour le tromper, lui et ses compagnons. Au moment où Thor lève son marteau, la salle du géant disparaît. Tout comme Odin, il parvient à déjouer Thor qui semble plutôt lent d'esprit et incapable de saisir le sens profond de ce qui se passe autour de lui. Il gagne ces défis, ce qui explique qu'il se mette en colère à Hárbarðsljóð au sujet des commentaires de son père.

Thor mentionne ses succès au combat et insulte Odin en l'appelant probablement de la pire façon possible dans le monde viking: ragr, ou "femme". Le père tout-puissant, au contraire, tente de souligner sa virilité en mentionnant une liaison avec une belle dame, ce qui attire l'attention de Thor. Odin aurait aimé qu'il soit là pour la retenir, mais il dit qu'il ne sait pas s'il aurait pu lui faire confiance. Cependant, l'acte lui-même ne pose pas de dilemme moral.

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Thor Fighting Jörmungandr
Thor aux prises avec Jörmungand
Rannveig (CC BY)

Après que Thor eut mentionné une nouvelle fois ses capacités de tueur de super-géants, Harbard/Barbe Grise le calomnie: "La honte est ce que tu as gagné, Thor, parce que tu as tué des femmes" (Hildebrand, 182). Il ne s'agissait pas vraiment de femmes, mais plutôt de monstres-loups ou d'épouses de berserkers, comme le dit Thor. Par un étrange retournement de situation, Odin se vante d'être venu avec une armée près d'Asgard pour rougir sa célèbre lance, défiant ainsi les dieux eux-mêmes, mais on ne sait pas à quelle expédition il fait référence.

Dans une apparente tentative de corruption, il offre à Thor un anneau de bras pour qu'il ne s'occupe pas de lui, ce à quoi ce dernier répond avec colère qu'il n'a jamais entendu un discours aussi impudent. Odin fait alors allusion à ses talents de nécromancien, admettant qu'il les a appris des morts. Il demande ensuite à Thor d'aller combattre l'amant de sa femme chez lui plutôt que de le menacer avec le marteau: "Jamais je n'ai pensé qu'Asathor serait arrêté dans son voyage par un passeur" (Hildebrand, 186). Tout comme Odin, Thor porte différents noms dans les poèmes, Asathor signifiant simplement Thor des dieux, le Thor divin. Odin lui refuse donc le passage vers Asgard. Il lui donne cependant quelques indications sur la façon de rentrer chez lui, et Thor est heureux de se voir débarrassé de toutes ses moqueries. Comme prévu, le dieu déguisé ne lui fait pas ses adieux mais lui dit "va là où tout ce qui est mauvais t'atteindra!".

Importance de l'histoire

Dans ce jeu d'esprit, Odin sort clairement vainqueur, puisque Thor n'est pas en mesure de forcer Barbe Grise à lui faire franchir le fjord. Comme dans d'autres sources nordiques telles que la saga Völsunga, Odin est certes rusé, plein d'esprit et de connaissances, mais il est aussi pragmatique, égoïste, arrogant et même cruel. Dans cette saga légendaire du XIIIe siècle sur le clan des Völsungs auquel appartient le héros Sigurd/Siegfried le tueur de dragons, Odin brise l'épée de Sigmund (le père de Sigurd), le laissant tomber aux mains de ses ennemis. Il agit ainsi bien que ce soit lui qui ait offert l'épée à Sigmund. Odin n'est en aucun cas mû par une force morale ou une bonté inhérente; il serait très étrange de considérer les dieux nordiques en ces termes.

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Odin
Odin
Emil Doepler (CC BY-NC-SA)

Contrairement au plus populaire Thor, qui protège le monde, les caractéristiques d'Odin correspondent davantage à celles des rois et des nobles. Dans le Hárbarðsljóð, Thor est le plus gentil et Odin le plus rusé, ce qui se reflète également dans ce qu'ils se disent l'un à l'autre. Odin n'a pas seulement des talents de guerrier, il utilise aussi sa magie pour soumettre les gens à sa volonté. La supériorité intellectuelle d'Odin sur son fils est également évidente dans d'autres poèmes, comme le Grímnismál et le Vafþrudnismál de l'Edda poétique.

Dans le premier, Odin, qui se fait appeler le Masqué (Grimnir), arrive à la cour du roi Geirröd, qui met Grimnir au feu après avoir entendu parler de ses talents magiques. Après que le fils du roi lui eut offert un verre, il commence à avoir une série de visions sur les demeures des dieux, la vie au Valhalla et différents éléments naturels. Il énumère également une série de noms qu'on lui donne, avant de révéler qu'il est Odin. Le roi Geirröd se précipite pour le libérer du feu, mais tombe sur son épée, et Odin disparaît.

Dans le dernier poème, Odin rend visite au plus sage des géants, Vafþrúðnir, et ils ont un long dialogue au cours duquel ils se posent mutuellement des questions d'ordre mythologique. Après les quatre questions auxquelles Odin a répondu correctement, il pose au géant 18 questions difficiles; il ne répond qu'à 17 d'entre elles. En effet, la dernière révèle la véritable identité d'Odin: elle demande ce que le dieu a dit lors des funérailles de son fils Baldr. Bien que l'histoire des funérailles de Baldr ne contienne pas le message d'Odin, le motif est utilisé pour indiquer ses vastes connaissances. Il sait tout ce qu'il est possible de savoir. Le Lai de Barbe Grise, à l'instar des deux autres poèmes, s'attarde sur l'idée de la puissance mentale et verbale d'Odin pour gagner ses batailles. Thor, quant à lui, représente la force matérielle et physique.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Irina-Maria Manea
Dotée d'un esprit curieux et ouvert, elle est fascinée par les choses du passé. Historienne ayant un intérêt marqué pour les mythes scandinaves et l'âge des Vikings, elle est également enseignante d'histoire et formatrice en langues. Elle est Originaire de Bucarest, en Roumanie et réside actuellement à Hesse, en Allemagne.

Citer cette ressource

Style APA

Manea, I. (2021, mars 02). Compétition entre Odin et Thor [The Contest between Odin & Thor]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1690/competition-entre-odin-et-thor/

Style Chicago

Manea, Irina-Maria. "Compétition entre Odin et Thor." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le mars 02, 2021. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1690/competition-entre-odin-et-thor/.

Style MLA

Manea, Irina-Maria. "Compétition entre Odin et Thor." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 02 mars 2021. Web. 06 nov. 2024.

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